« Pour engager la transition écologique du système de santé, la sobriété de prescriptions est le levier le plus simple et efficace »

Tribune à retrouver également sur le Monde

Alors que les traitements et les examens biologiques représentent une part très importante du bilan carbone des hôpitaux, les équipes soignantes doivent aujourd’hui mener une réflexion sur leurs pratiques prescriptives, estime, dans une tribune au « Monde », un groupe de professionnels hospitaliers.

La décarbonation du secteur de la santé, qui représente 8 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, d’après les estimations du groupe de réflexion Shift Project, constitue un enjeu majeur de la transition écologique. Le bilan carbone de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui regroupe 38 hôpitaux et accueille plus de 8 millions de personnes par an, est sans appel : en 2022, l’AP-HP était responsable de l’émission de presque 2 millions de tonnes équivalent CO2 (CO2e) par an. Les soins, regroupant les médicaments, les dispositifs médicaux, les laboratoires et les imageries, représentent 58 % de ces émissions. En comparaison, l’énergie et les déchets n’en représentent respectivement que 7 % et moins de 1 %.

Ainsi, trois jours d’hospitalisation correspondent à environ 1 tonne de CO2e. Un chiffre alarmant si l’on souhaite rester au-dessous de l’objectif de 1,5 °C de l’accord de Paris : atteindre la neutralité carbone à l’échelle planétaire exige en effet de respecter une « enveloppe » d’émissions de 2 tonnes de CO2e par Français et par an. Les équipes soignantes ont donc un rôle majeur à jouer.

Pour faire face à cet impératif, de nombreuses initiatives se mettent en place, telles que la réduction de l’utilisation des gaz anesthésiques les plus polluants (arrêt du desflurane et limitation du protoxyde d’azote), la pratique des écosoins, l’évaluation précise des émissions carbone liées au soin (outil Carebone développé à l’AP-HP), le travail sur l’usage unique par opposition à la stérilisation des dispositifs médicaux, et la création de groupes axés sur la transition écologique dans différentes sociétés savantes médicales, dont celle de médecine interne.

Trop de médicaments

Toutes ces actions sont nécessaires, mais le levier d’action le plus simple et le plus efficace est très probablement la sobriété de prescriptions au sens large. En effet, les traitements et les examens biologiques, à travers les consommables de laboratoire, sont les deux plus gros postes de ce bilan carbone AP-HP.

La France prescrit trop de médicaments. Trop d’antibiotiques (quatrième place des plus gros consommateurs d’Europe en 2021), trop d’inhibiteurs de la pompe à protons (utilisés contre les douleurs gastriques et qui ne devraient globalement pas être prescrits au long cours, selon la Haute Autorité de santé, HAS), trop de somnifères comme les benzodiazépines (qui devraient être prescrits pour une durée maximale de quatre semaines pour les troubles du sommeil et de douze semaines pour les troubles anxieux, selon la HAS).

L’arrêt de ces traitements doit être progressif et mis en place avec l’aide du médecin traitant. Les campagnes de sensibilisation peuvent aider : celle intitulée « Les antibiotiques, c’est pas automatique » a permis de réduire la consommation d’antibiotiques de 20 % en France et donc d’éviter des effets secondaires parfois graves chez certains patients.

A l’hôpital, le mode d’administration des traitements a également un impact non négligeable. Ainsi, une prise orale de paracétamol a la même efficacité qu’une perfusion intraveineuse, avec moins de risque pour le patient, du temps préservé pour l’infirmier(e) et une empreinte carbone beaucoup moins élevée.

Les prescriptions d’examens biologiques ne cessent d’augmenter en France (+ 5,5 % début 2024) avec un impact important sur le budget de la Caisse nationale de l’Assurance-maladie et le bilan carbone du secteur de la santé. Ainsi, dans des services de médecine interne ou de maladies infectieuses de l’AP-HP, de 10 à 30 examens biologiques sont réalisés par jour pour chaque patient, selon le secteur d’hospitalisation. Parmi ces examens, certains sont redondants, pratiqués de façon systématique et/ou sans conséquence directe sur la prise en charge du patient. Ce constat est général, conduisant des collègues, notamment canadiens, à proposer de rationaliser ces prélèvements.

Ce sujet est encore très largement ignoré des prescripteurs, alors que des actions relativement simples permettent de réduire drastiquement ces examens sans altérer la qualité de la prise en charge, bien au contraire. Ainsi, en rationalisant les prescriptions, des cardiologues ont observé une diminution drastique du nombre de prescriptions biologiques (entre 67 % et 92 %), sans augmentation de la morbimortalité pour les patients.

Libérer du temps, baisser les coûts

Aidé par les primes d’engagement collectif qui permettent de mobiliser des équipes autour, notamment, de la transition écologique, notre groupe de soignants de l’AP-HP s’est attaqué à ce sujet. Nous avons créé des supports d’information sur la juste prescription et la déprescription avec des exemples très concrets, avons établi une liste d’examens surprescrits et avons revu nos organisations, réduit nos bilans dits « systématiques », et placé la pertinence des prescriptions au cœur de nos priorités. Cela a très vite engendré une baisse de 25 % des prescriptions d’examens complémentaires, alors qu’à l’AP-HP, comme ailleurs, la tendance générale est à une augmentation.

Au-delà de l’impact écologique de telles démarches, cela permet une libération de temps infirmier, précieux dans des périodes de pénuries de personnel soignant, et une diminution très significative des coûts et des prélèvements sanguins pour les patients. Cela évite également de trouver des anomalies dont on ne saura quoi faire et qui peuvent engendrer elles-mêmes de nouveaux examens, pas toujours dénués de risque pour les patients.

Prescrire est simple pour les médecins, et sans impact financier pour les patients, puisque nous avons la chance d’avoir un système de santé français protecteur. Cela crée néanmoins une déconnexion entre un soin et son coût, qu’il soit financier ou écologique. Il est donc de notre responsabilité éthique de sensibiliser les patients et les prescripteurs à mieux prescrire, notre expérience montrant que la sobriété en santé a de multiples bénéfices, y compris pour les patients.

 

Premiers signataires :

Véronique Bortolotti, docteure, PASS et médecine sociale, hôpital Corentin-Celton, Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) ; 
Nathalie Costedoat-Chalumeau, professeure des universités, service de médecine interne de l’hôpital Cochin, Paris ; 
Emilie Durand, volontaire en mission de service civique sur la transition écologique, hôpital Cochin, Paris ; 
Charlotte Laurent, docteure, service de médecine interne de l’hôpital Saint-Antoine, Paris ; 
Hélène Lelong, docteure, centre de diagnostic, hôpital Hôtel-Dieu, Paris ; 
Adrien Michon, docteur, service de médecine interne de l’hôpital européen Georges-Pompidou, Paris ; 
Yann Nguyen, docteur, service de médecine interne, hôpital Beaujon, Clichy (Hauts-de-Seine) ; 
Perrine Parize, 
docteure, service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Necker, Paris ; 
Juliette Pavie, docteure, service d’immunologie infectieuse, hôpital Hôtel-Dieu, Paris ; 
Nadia Sadaoui, cadre paramédicale, département médico-universitaire ProMIIS, Paris ; 
Benjamin de Sainte Marie, docteur, service de médecine Interne, hôpital de la Timone, Marseille ; 
Benjamin Thoreau, docteur, service de médecine interne, hôpital Cochin, Paris. Parmi eux, plusieurs sont membres du département médico-universitaire ProMIIS de l’AP-HP.